Le Village Fantôme
Dernière mise à jour : 5 nov. 2021
Dernière étape de notre excursion dans l'Orne, cette contrée qui nous aura marqué de bien des manières mais surtout par sa beauté et sa richesse de légendes. Après les Pierres Mystiques, le Château de Domfront et enfin la Fosse Arthour, nous clôturons cette vadrouille dans le lieu que nous avons le plus apprécié. Un remarquable endroit des plus inoubliables qui ne nous donne qu'une envie : revenir dans l'Orne au plus vite !
En pleine Suisse normande, à la limite du pays d'Houlme, perdues dans la végétation d'une forêt qui semble laissée à l'abandon par une commune constituée d'à peine une centaine d'habitants, se dressent secrètement les ruines de l'église du Vieux-Saint-Aubert. C'est une atmosphère poignante qui règne ici, il faut user d'un peu de témérité pour les atteindre ces vestiges, pour mériter cette vue. Aussitôt sommes-nous entrés dans les bois que l'air qui nous entourait s'est fait plus épais : l'environnement ne nous est pas hostile mais plutôt énigmatique, comme une timide invitation à qui aura le cœur assez vaillant pour arpenter ses sentiers.
Les arbres sont biscornus, le lierre enlace les troncs et entraîne avec lui des racines qui donnent une apparence déroutante à la sylve. Les branches craquent, leurs voix dominent et nous enveloppent, nous donnant le sentiment étrange que nous sommes passés dans un autre monde. « Ca fait comme le tunnel dans Le Voyage de Chihiro, le passage entre deux » Au loin, camouflé par les feuilles qui isolent de la réalité, on entend un bruit d'eau, de courant... un torrent. Le chemin est bientôt cerné par des tertres surplombés par des souches défraîchies et des troncs ravagés aux formes bizarroïdes où les petites âmes de la forêt ont fait leur logis. Nous nous enfonçons davantage dans ces bois aux allures fantasmagoriques jusqu'à arriver à une fourche.
Les gens qui ont placé ce vieux panneau ont-ils fait exprès d'opposer le Malin et l'Eglise de cette façon? Pourtant, c'est la nature qui a décidé de tracer les passages. On décide de tenter la droite, souhaitant nous rapprocher de ce que l'on pense être une rivière, voire même le gué de l'Orne. Comme un énième clin d’œil mystique, un énorme tronc d'arbre nous barre la route : il aurait peut-être été possible de persister si nous n'avions pas nos trois loups avec nous, mais la piste nous semble trop exiguë pour eux et nous décidons de revenir sur nos pas pour tenter à gauche.

Et nous le trouvons : le dernier témoin de ce qui a été et fut perdu il y a si longtemps, le Village Fantôme. Fondé en 800 par les moines du Mont-St-Michel, le Vieux-Saint-Aubert fait une référence direct au saint légendaire au crâne troué qui a fondé le Mont, et ainsi la boucle est bouclée. Alors que ce dernier a réussi la prouesse architecturale de construire sur un pic rocheux et isolé des terres, les moines qui lui sont rattachés ont établi une ville au sein de la forêt, décalée du temps, étrangère à la réalité. L'histoire nous dit que celle-ci fut petit à petit abandonnée par ses résidents au profit de la nouvelle commune de Saint-Aubert, plus facile d'accès, plus vivante, et du village ne subsista que l'église ou du moins ses ruines qui sont actuellement classées comme site historique et protégées bien que laissées à la merci du temps et des souvenirs qui s'envolent.
Des voix ténues, humaines cette fois-ci, se dégagent au loin mais nous ne saurons jamais d'où elles provenaient, une énigme de plus comme il semble être de mise dans cette forêt. Bien que peu adeptes de la religion chrétienne, on ne peut s'empêcher d'admirer pendant une longue pause cette clairière où trône un magnifique saule pleureur, cet abri à l'écart de tout, ces quelques pommiers qui offriront en automne de quoi décorer un sabbat de Samhain dans ce décor des plus appropriés, cette entracte que nous offre ce sanctuaire. Lors de notre retour hors de ce rêve, nous n'avons pas eu besoin de beaucoup de mots pour se convaincre que c'était de loin l'une de nos forêts préférées et que nous retournerons avec grand plaisir dans ce refuge où l'air se fige et où la magie opère.